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Un hiver avec les hiboux

Après une petite période de récupération de notre roadtrip en Floride (on a été malade comme il faut pendant deux semaines en rentrant), on se décide à sortir du comfort de notre canapé mi-janvier pour aller explorer les montagnes enneigées avec Todd, un collègue d'Ulysse. Notre choix se porte sur Cat Mountain qui nous offrira une jolie vue sur le Lac Georges. La balade commence par un petit lac bordé de sapins dans lequel des mésanges sautillent. On joue aux détectives pour identifier les traces fraîches d'animaux dans la neige. Alors que je récupère tranquillement mes poumons avec une pause bien méritée dans la montée, un chien achève sa course silencieuse dans la neige en me percutant les jambes de plein fouet.  Mon hurlement de surprise a probablement réveillé tout le massif montagneux. Les garçons se marrent pendant que la propriétaire me répète à n'en plus finir que son chien est adorable et ne ferait pas de mal à une mouche. On finit notre longue montée tranquille avant de savourer brièvement la vue au sommet et nos garlic knots. Je laisse à Ulysse le soin de prendre nos photos de paysages, gardant mes doigts bien au chaud dans mes grosses moufles. La descente est un régal: bien à pic mais pleine de poudreuse, on dévale le chemin en faisant des grands bonds, tels des astronautes. 

 

De retour à la voiture, on prend le temps de quelques photos d'une ferme et d'une grange abandonnée pour le plus grand plaisir d'Ulysse. Je convaincs sans trop de mal Todd et Ulysse de faire un petit détour sur la route du retour par les prairies du comté de Washington à la recherche du hibou des marais. On y croise une autre grange abandonnée et quelques busards des marais... mais point de hiboux...Qu'à cela ne tienne, on savoure les couleurs du coucher de soleil sur ses prairies avant de réanimer nos doigts gelés grâce au chauffage de la voiture. 

 

Frustrée de mon deuxième échec consécutif à observer des hiboux des marais la semaine passée, je tente ma chance avec Eliza le lundi suivant dans un autre spot: le Shawangunk Grasslands National Wildlife Refuge. On y retrouve le même type d'habitat: de grandes prairies ouvertes avec quelques broussailles ça et là et bordées de bois. D'ailleurs, le hibou des marais est visible en France aussi où il hiverne notamment en Baie de Somme (avis aux amateurs). Le Hibou des marais a besoin de vastes étendues ininterrompues de prairies ouvertes et est particulièrement sensible à la perte et à la fragmentation de l'habitat due à l'agriculture, au pâturage du bétail, aux loisirs et à l'urbanisation. On s'y rend en fin d'après-midi car en hiver ces hiboux préfèrent les conditions de faible luminosité et sont actifs principalement à l'aube et au crépuscule. Le reste du temps, ils restent cachés à terre au milieu de la végétation qui les camouflent parfaitement ou perchés dans les arbres quand le sol est couvert de neige...

 

On s'aventure dans le chemin qui fait le tour de cette immense prairie malgré le froid glacé... Rien... et puis soudain une première paire s'élance dans un vol rasant au-dessus de la prairie avant de replonger dans cette mer d'herbe à l'abri des regards. J' observe, ébahie (et gelée), leur manoeuvres aériennes habiles et parfaitement silencieuses. Ils s'élèvent parfois dans les airs généralement par paire ou dans une tentative de dissuasion vis-à-vis d'un busard des marais qui partage leur territoire.   Mais la plupart du temps, ils planent au-dessus des herbes, volent quelques secondes sur place, se laissent tomber au sol sur leur proie repérée à l'ouïe avant de repartir...

 

Le ballet se calme un peu et on en profite pour avancer de quelques mètres avant de tomber sur un autre individu perché dans un arbre à hauteur d'objectif. A l'émotion de l'ornithologue, succède l'excitation de la photographe. Un autre photographe animalier s'entête à bavarder avec nous de sa grosse voix tonitruante... On s'empresse de prendre congé pour limiter le dérangement et on poursuit notre chemin. La prairie avec ses herbes basses nous semblait toute petite mais l'effet d'optique est trompeur. Le temps que l'on finisse notre tour, le soleil s'est couché et le ciel s'est teinté d'une belle couleur rose. Au moment où nous rangeons nos affaires dans la voiture, un autre hibou vient se percher sur un arbre à proximité... Je re-déballe tout et contemple ce beau spectacle... La réalité du froid finit par rattraper mes doigts incapables d'appuyer sur le déclencheur et pendant que le hibou s'envole, je rejoins notre voiture. Alors qu'on reprend la route, on croise brièvement un renard, dernier cadeau d'une journée déjà bien belle...

Début février, on repart à l'assaut des sommets enneigés avec Eliza. Direction Hadley Mountain cette fois. La veille, une grosse tempête de neige suivi d'un grand froid a transformé chaque branche en glaçon et la forêt carillone à notre passage. Au sommet de Hadley Mountain, une tour (fire tower) comme suspendue par ses câbles couverts de stalactites nous domine. On y monte rapidement: sans surprise il fait beaucoup trop froid là haut pour s'éterniser... Avant de repartir, on observe le manège d'un merle qui se régale des baies d'un sorbier (American mountain Ash). Pour la petite anecdote, je me suis mise ce mois-ci (Août 2020) a essayé d'apprendre quelques bases de botanique en commençant par les arbres et ce n'est que cette semaine en parcourant mon guide que j'ai identifié par le plus grand des hasard ce sorbier vu quelques mois plus tôt.

 

 

Sur le retour, on fait un petit arrêt sur le pont Hadley Bow Bridge qui date de la fin du 19ème siècle le temps de prendre quelques photos.

 

En rentrant, on fait à nouveau un petit détour ornithologique avec dans notre viseur deux espèces uniquement visibles en hiver dans l'état de New York car elles passent l'été au Canada, dans la toundra arctique. Je veux bien sûr parler de l'alouette hausse-col (Horned Lark) et du plectrophane des neiges (Snow bunting)! Voilà un nom bien compliqué digne des pires dictées. Je n'ai même pas une photo à vous montrer car cette petite boule de plume blanche ne fait que 15 cm  et on les a observé à plusieurs centaines de mètres. Mais comment me direz-vous? et bien, en hiver, les plectrophanes des neiges se déplacent constamment  de champs en champs et leurs vols argentés fait penser de loin à des bourrasques de neige. On a eu un peu plus de chances avec les alouettes hausse-cols que l'on a trouvé en petit troupeau grouillant au bord de la route. Quand elles se retournent ces petites formes brunes ont une joli face jaune souligné d'un masque noir et de petites cornes également noires. Pas sûre que mes photos vous permettent de voir un tel niveau de détail mais j'aime bien ces photos de groupes en vol, alouettes effarouchés par l'approche d'une voiture. On aperçoit également sur notre chemin de jolis canards (les garrots à oeil d'or/ common goldeneye) sur la rivière qui longe la route et des merles bleus. Les paysages de plaines agricoles entièrement gelés sont absolument incroyables avec la lumière hivernale et le coucher du soleil. Pas sûre que les photos rendent suffisamment hommage à la beauté du moment mais on a fait de notre mieux, tentant même quelques effets à contre-jour. 

Comme on n'a pas eu assez froid les week-ends précédents, on en redemande. Cette fois, on fait activité séparée. Ulysse a rendez-vous avec un guide de montagne pour une journée d'escalade sur glace. Son cadeau d'anniversaire de septembre arrive un peu tardivement mais l'escalade sur glace nécessite des conditions météo bien particulières. Il faut qu'il y ait une alternance de conditions très froides puis des conditions plus chaudes qui font légèrement fondre la glace pour former des gros paquets de glace solides et bien épais les uns sur les autres. On récupère notre guide sur un parking à la sortie de l'autoroute et on s'engage au coeur du massif des Catskills. Après une quarantaine de minutes sur des routes de montagnes, notre guide nous fait nous arrêter sur le bas côté au sommet d'un col encaissé à l'ombre de deux montagnes. Le froid est glacial (au moins -10°C) et Ulysse n'a même pas fini de s'équiper de sa tenue d'alpiniste que je suis déjà frigorifiée. Ulysse et le guide enjambent la barrière et commencent à s'approcher doucement de la cascade de glace. Je les regarde une dizaine de minutes avant de battre en retraite dans la voiture, chassée par le vent glacial. Armée de notre atlas routier et de mon sens de l'orientation infaillible (pas de réseau dans le coin), je me mets en quête d'un spot ornitho pour quelques heures. Après un arrêt infructueux dans une petite crique, je me dirige vers Ashokan Réservoir, un immense lac sur fond de montagnes enneigées. Pendant qu'Ulysse galère dans le froid, je me fais une petite balade pépère au bord du lac (oui parce que c'est aussi la période où j'ai une petite inflammation de la hanche qui fait qu'au bout de quelques centaines de mètres à plat, j'ai tellement mal que je veux juste m'allonger par terre... Bon heureusement, quelques séances de kiné et plusieurs mois de repos forcés grâce à une petite pandémie et tout est rentré dans l'ordre). Je tente plusieurs photos de paysages avant de scruter avec les jumelles les cimes des conifères dans l'espoir d'apercevoir quelques rapaces... (parce que pour l'instant d'un point de vue piafs je fais chou blanc)... et là hop comme sur demande, je vois un pygargue à queue blanche perché dans un arbre suffisamment près de la route pour tenter une photo autre que l'aigle en vol sur ciel bleu tout craspouette. J'entreprends donc de changer d'objectif mais ô râge, ô désespoir, je me rends compte que j'ai oublié sur mon appareil photo la plateforme qui permet de le fixer au trépied.... plateforme qui bloque l'accès pour visser mon téléobjectif... et la clé Allen pour dévisser ladite maudite plateforme est restée bien utilement dans la voiture à 2km de là. Autant dire que même si l'aigle est patient, il y a peu de chances qu'il soit encore là le temps que je fasse l'aller-retour. Je finis par réussir à décrocher la plateforme (en utilisant mon trousseau de clé comme clé Allen en mode Inspectrice gadget) et le pygargue coopératif me laisse le temps de m'approcher avant de continuer sa journée un peu plus loin. 

Je récupère Ulysse transi de froid mais content de sa journée et je décide de l'emmener voir les hiboux des marais (bon à ce stade là, ce ne serait pas honnête de ma part d'appeler ça un détour). Cette fois, point de marche dans la prairie. On reste au niveau du parking où plusieurs hiboux font leur ballet crépusculaire. Après un hibou en mode diva sur son piquet qui ferme délicatement les yeux, je retente ma chance pour essayer d'avoir une photo nette en vol. Mon autofocus galère à distinguer le hibou qui se confond avec les herbes de la même couleur. Mais à la nuit tombée, le hibou clair se détache dans l'obscurité et me permet de ramener de nouveaux types de clichés. Voilà, c'est fini pour les hiboux des marais, au moins pour cette année. J'espère que vous aurez autant de plaisir à regarder ces photos que j'en ai eu à les observer. Au plaisir de faire une sortie hibou des marais avec vous en France. 

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