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Roadtrip Savannah, Georgia

On arrive le 29 décembre au soir à la nuit tombée à Savannah, dans l'état de Géorgie. On y découvre notre auberge réconfortante Isetta Inn où notre chambre Hedwig's Perch nous attend pour une nuit réconfortante et qui sait peut-être même notre première grasse mat' depuis le début des vacances! Mais avant ça, c'est aussi l'air d'un petit resto: on fait confiance aux recommendations de l'auberge et on se dirige vers The Vault, pour de la cuisine asiatique dans un bâtiment historique (ancienne banque avec un coffre fort)!

 

On commence paresseusement notre journée à 10h30 après un petit déjeuner à l'auberge. On se dirige tranquillement à pied vers le quartier historique au Nord de la ville bordé par la rivière Savannah. On remonte Bull Street cernée par des églises imposantes comme l'église orthodoxe grecque de St Paul. 

Sur notre chemin, beaucoup de squares très verts avec leurs arbres majestueux couverts de mousse espagnole (spanish moss) dont le parc Forsyth et sa fontaine vieille de 150 ans, une des icônes de la ville. On fait un détour par la Cathedral of St John the Baptist où une crèche met en scène une multitude de protagonistes inhabituels dont des pingouins et des otaries! On continue notre marche vers le Nord en coupant à travers le Colonial Park Cemetery.

 

On visite le musée de la maison Davenport. Cette bâtisse de style fédérale a été construite en 1820 par le maître d'œuvre Isaiah Davenport pour accueillir sa famille grandissante et démontrer ses talents à des clients potentiels. Après avoir terminé son apprentissage de menuisier à New Bedford, Massachusetts, Davenport s'installe à Savannah en 1809. Il y construira plusieurs des élégantes maisons de style fédéral et géorgien de la ville. Alors qu'à l'époque, la plupart des maisons étaient construites en bois, Davenport utilisait la brique pour mettre en valeur sa richesse croissante et son statut social. Il a vécu dans la maison avec sa femme et sa famille jusqu'à sa mort de la fièvre jaune en 1827. Lorsque son oeuvre a été menacée de démolition au milieu des années 1950, sept femmes de Savannah se sont réunies pour sauver la maison Davenport. L'arrière de la maison, qui contenait autrefois une remise à calèches, est le cadre d'un jardin paysager orné. Pas de photo de cette visite, mais des photos d'une autre maison de style fédéral qui suit les même codes dans la prochaine section. 

 

On arrive enfin sur les quais de la rivière Savannah où se dresse le bâtiment de la Bourse du Cotton, achevé en 1887, symbole de l'importance passée de l'industrie du coton pour la ville de Savannah. On y croise aussi les traditionnels bateaux à aubes (paddle steamer) rouge et blancs. Les pavés posés à la main qui composent l'emblématique River Street de Savannah étaient à l'origine utilisées comme matériau de ballast sur les nombreux bateaux qui naviguaient dans le port de Savannah et viennent entre autres de l'île de Madère, d'Espagne, du Canada, de France... Le premier indice du passé sombre de Savannah est également sur River Street avec l'African-American Monument. Le monument représente une sculpture d'une famille afro-américaine moderne avec des chaînes cassées aux pieds avec une citation de la poète Maya Angelou:  "Nous avons été volés, vendus et achetés ensemble sur le continent africain. Nous sommes montés ensemble sur les navires négriers. Nous nous sommes allongés sur le ventre dans les cales des navires négriers, dans les excréments et l'urine des uns et des autres, nous sommes parfois morts ensemble, et nos corps sans vie ont été jetés par-dessus bord ensemble". La sculpture et la citation établissent un lien fort entre l'expérience noire contemporaine et l'histoire traumatisante de l'esclavage. On vous amène à la découverte d'une partie de cette histoire dans la suite de cet article. 

Après un déjeuner sur le pouce dans un restaurant indien (NaaN on Broughton), on se dirige vers la Owens-Thomas House & Slave. Construite en 1819 comme un magnifique manoir de style Régence, la Maison Owens-Thomas, avec ses jardins adjacents, sa remise à calèches et ses quartiers d'esclaves, permet d'explorer les relations compliquées entre les gens, libres et esclaves, qui ont vécu et travaillé sur le site il y a 200 ans. La maison a été construite par l'architecte William Jay pour le compte du banquier, marchand de bateaux et négrier Richard Richardson et de sa femme Frances. Les Richardson s'installèrent dans la maison avec leurs six enfants et neuf esclaves en janvier 1819. Ruinés par la panique financière de 1819, une épidémie de fièvre jaune, un incendie qui a détruit la moitié de la ville, et la mort de Frances et de deux des enfants, Richardson décide de vendre la maison en 1822. En 1830, George Owens, alors maire de Savannah, achète la propriété aux enchères pour 10 000 dollars. Owens, qui était également avocat, planteur et politicien, s'est installé avec sa femme, Sarah, et leurs six enfants en 1833. Au fil des ans, Owens a maintenu neuf à quinze personnes en esclavage sur la propriété et a tenu près de 400 hommes, femmes et enfants en esclavage sur ses plantations. 

La dernière descendante d'Owens à vivre dans la maison était la petite-fille de George Owens, Margaret Gray Thomas. À sa mort en 1951, sans héritiers directs, elle a légué la maison à l'Académie des arts et des sciences de Telfair pour qu'elle soit gérée comme une maison-musée en l'honneur de son grand-père, George Owens, et de son père, le Dr James Gray Thomas. Le site a été ouvert au public en 1954.

 

La visite commence par la remise (carriage house). La moitié Sud du bâtiment abritait à l'origine les chevaux et les voitures, avec un grenier à foin à l'étage supérieur. La moitié nord du bâtiment reconstitue les quartiers d'origine des esclaves sur le site.  Compte tenu du manque de documentation sur les meubles d'origine, trois reconstitutions possibles sont présentés. Neuf à quinze personnes réduites en esclavage, dont la moitié environ étaient des enfants, ont vécu et travaillé sur le site à un moment donné entre 1819 et la fin de la guerre civile (guerre de Sécession entre les partisans de l'esclavage, principalement les états du Sud confédérés et les états du Nord abolitionnistes regroupés au sein de l'Union). Une fois la guerre civile terminée, l'espace est devenu un quartier de domestiques, qui abritait beaucoup de ces mêmes personnes. 

 

Entre la maison et la remise, on trouve un joli jardin. En réalité, l'espace abritait à l'origine une cour de travail, qui comprenait probablement un petit potager, une buanderie et du petit bétail. Le jardin actuel a été conçue au début des années 50 lors de la création du musée. 

 

Dans la maison principale, on retrouve la séparation entre les espaces publics et privés typique des maisons fédérales comme dans la maison Davenport. Les espaces publics au rez de chaussée (salon, hall d'entrée, salle à manger)  regorgent de meubles et d'objets d'art, destinés au divertissement et à exposer la prospérité de la famille. Etrangement, le faux marbre (pin ou chêne peint à la main pour reproduire l'aspect du marbre) était synonyme de plus de richesse que du vrai marbre (puisqu'il coûtait plus cher compte tenu de la main d'oeuvre pour réaliser une telle copie). La saison de "socialisation" était l'hiver car l'été dans cette région est chaud, humide et à l'époque propice à la fièvre jaune. 

 

Deux colonnes séparent ces espaces publics des espaces privés (chambres,  bibliothèque, salle à manger familiale) dans les maisons fédérales. Il était très impoli en tant qu'invité de traverser cette frontière à l'exception de quelques invités d'honneur comme le marquis de Lafayette, qui a séjourné dans cette maison durant deux nuits. Dans ces maisons urbaines, les esclaves sont principalement des enfants et des femmes (les hommes étant envoyés dans les plantations). Les enfants étaient achetés à l'âge de 4 à 6 ans et commencer à travailler entre 6 et 8 ans. A l'époque, il était illégal d'enseigner la lecture ou l'écriture à une personne noire. De fait, les fragments de leurs vies qu'on connait proviennent des testaments indirects à travers les écrits de leurs maîtres. Les recherches ont permis de retrouver certains noms et de retracer les destins de certains de ces hommes et femmes comme Peter le majordome de la famille Owens, Emma leur nourrice qui travailla sur place jusqu'à sa mort et Diane leur cuisinière. Ces postes exigeants nécessitaient leur présence 24h/24h et ils n'étaient pas autorisés à rejoindre les quartiers des esclaves pour la nuit, dormant directement sur leur lieu de travail.  Les lettres échangées entre les propriétaires d'esclaves mettent en lumière les promesses de rachat de membres de la familles de leurs esclaves pour maintenir leur pouvoir de dissuasion de toute rébellion. 

 

Au sous-sol, on découvre les espaces de travail (la cuisine, l'arrière-cuisine, la cave, la salle de bain et une grande citerne) où évoluaient les personnes réduites en esclavages. Les murs sont incrustés de coquilles d'huitres cimentées ensemble. Des pièces telles que le garde-manger où étaient entreposés denrées, argenterie fine, et porcelaine soulignent les relations contradictoires entre esclaves et maîtres. Diane la cuisinière n'avait pas accès au garde-manger dont Mme Owen gardait la clé mais Emma la nourrice était en charge de l'éducation des enfants de la famille.

 

A côté de la cuisine, on observe également les vestiges d'un emplacement pour un immense bloc de glace de 25 kg. A cette époque, le commerce de bloc de glace est en plein essor: la glace vient des lacs du Nord-Est et est expédiée par bateau à vapeur. Isolée dans de la paille et de la sciure du bois, la durée de vie d'un bloc de glace de 25 kg est de 6 mois environ. Cette maison est également l'une des premières aux Etats-Unis à avoir un système de plomberie trente ans avant le reste des Etats-Unis (avant même la Maison Blanche). 

Après un chocolat chaud pour digérer ce passé lourd de conséquences, on continue notre plongée dans le Savannah du 19ème siècle avec le Telfair Museum. Cette gigantesque demeure de deux étages à deux pas de la maison des Owens a été construite par le même architecte William Jay en 1819 pour Alexander Telfair, marchand et planteur. En 1875, la sœur d'Alexandre, Mary - héritière de la fortune familiale et sans descendants - a légué la maison et son mobilier à la Georgia Historical Society pour qu'elle ouvre un musée. J'ai du mal à me départir d'un malaise grandissant en voyant le nom d'une famille qui a bâti sa fortune grâce à la traite et à l'esclavage mis à l'honneur sur la façade du bâtiment en raison du leg de Mary Telfair.

 

On finit cette journée culturelle par le Jepson Center de l'autre côté du square. Le bâtiment lumineux à l'architecture ultra moderne contraste avec les manoirs historiques que l'on vient de visiter. On y découvre entre autres une exposition centrée sur la mer mélangeant le travail de six artistes contemporains (sculpteur, photographe, graveur, vidéaste...). Outre le photographe Corey Arnold (dont les scènes de pêches orageuses se mariaient bien avec les peintures abstraites et colorées d'un autre artiste), je retiens surtout la sculpture de baleine grandeur nature (15 mètres de long) Mocha Dick de Tristin Lowe.  Il s'agit d'une reconstitution d'un cachalot albinos qui terrorisait les baleiniers du début du XIXe siècle près de l'île de Mocha dans le Pacifique Sud. Le cachalot a inspiré l'épopée Moby-Dick.

Après cette journée bien remplie, on regagne notre auberge au coucher du soleil, les pieds en compote. On ressort quand même en quête d'un bon diner. Notre premier choix ayant une file d'attente incompatible avec l'urgence de nos appétits, on rentre au hasard dans un restaurant italien sans lire les critiques. Ma tenue détente du soir consiste en un magnifique assortiment tongues bleues et rose, jean et sweat bleu bien plus grand que moi... La Scala Ristorante s'avère être un restaurant très (trop) chic rempli de serveurs coincés et de clients étranges. La fatigue aidant, j'enchaine avec ma discrétion habituelle les fous rires et les yeux écarquillés à la vue du ratio prix/quantité mais la qualité est là!

Le lendemain, on sort de Savannah pour aller visiter le cimetière Bonaventure, anciennement appelé Evergreen Cemetery. On déambule entre les allées boisées et les tombes des illustres familles de Savannah dont certaines arborent le drapeaux des confédérés dans la partie historique du cimetière. On n'écoute que d'une oreille les commentaires de l'application audio pour se profiter de cet havre de paix. 

On finit l'après-midi dans une réserve naturelle Skidaway Island State Park au Sud-Est de Savannah (et oui, vous ne croyez tout de même pas que je ne vais pas réussir à caser quelques photos d'oiseaux). On emprunte des sentiers qui serpentent à travers la forêt maritime et passent par un marais salé, menant à un caillebotis et à une tour d'observation. Nos observations sont moins abondantes qu'en Floride mais on y voit tout de même un anole vert, la mésange de Caroline (qui ressemble trait pour trait à notre mésange à tête noire à tel point que dans les zones géographiques où les deux espèces sont présentes, le meilleur moyen de les identifier restent leur chant), un pic à tête rouge (une première pour Ulysse) et des roitelets (pas de jolies photos, mais j'en ai revu au printemps à Troy donc ca viendra)!  

On se presse sur le retour  (comprendre Laetitia doit ranger son appareil photo) car il nous reste 2h15 de route pour rejoindre notre gîte du soir. Direction Charleston en Caroline du Sud. A notre arrivée, je me cache derrière Ulysse pour éviter les deux chiens super actifs et bruyants de notre hôte (courageuse mais pas téméraire)! Après une douche, on ressort direction un restaurant grec Stella's pour fêter le réveillon puisqu'on est le 31 décembre. Après un délicieux repas, on change d'ambiance et je traîne Ulysse dans un bar très américain pour une soirée rodéo! C'est l'occasion ou jamais. Le bar a sorti son taureau mécanique pour le réveillon. On attend patiemment que le maître du taureau arrive en observant avec une grande attention nos congénères et en sirotant un mojito (une bière pour Ulysse) pour se donner du courage. Notre maître taureau (qui contrôle les mouvements de la bête) arrive enfin et réussit à convaincre Ulysse de tester aussi. Résultat: une moyenne de 10 secondes pour Ulysse et 30 pour moi (il paraît que le maître taureau était plus doux avec moi!). Pour ceux qui se posent la question, non les années d'équitation n'ont servi à rien du tout (le taureau est beaucoup trop large!!!). 

Voilà Bonne année à tous avec 6 mois de retard et rdv au prochain épisode pour découvrir Charleston!

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Commentaires: 1
  • #1

    Soso (dimanche, 16 août 2020 14:54)

    Moi ce que je retiens la dedans c’est quand même que y’a un gars qui s’appelait « Richardson » et qui a décidé d’appeler son fils Richard !!

    Blague à part je trouve que tu écris très bien, c’est vraiment chouette de suivre ton blog !!