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Roadtrip Floride Partie 2

Cet article, malgré sa longueur sera consacré à une journée et une seule. Vous allez vite comprendre pourquoi. Le 24 décembre, nous sommes donc en Floride et nous nous apprêtons à pénétrer dans le Parc National des Everglades. La richesse et la biodiversité de cet endroit nous a vraiment marqué. Mon objectif est donc d'essayer de retranscrire dans cet article ce que nous avons compris concernant les différents écosystèmes rencontrés. Pour cet article, je me suis beaucoup appuyée sur le site web du parc national (https://www.nps.gov/ever/index.htm) et la documentation papier qu'on avait récupéré sur place pour m'assurer de ne pas vous raconter de trop grosses bêtises. 

Pour commencer, il faut savoir que le parc est vraiment immense. Il y a donc plusieurs entrées à plusieurs heures de conduite les unes des autres. En cette veille de Noël, on arrive donc au lever du soleil sur le parking désert du Ernest F. Coe Visitor Center (entrée sud-est du Park). Cette seule partie du parc cousiste en une route de 61km (46 minutes) avec plein de sentiers  qui partent se perdrent dans les différents écosystèmes. Evidemment on n'a pas eu le temps de tout explorer. Il faudrait probablement des années (ou une retraite en Floride?) pour tout explorer. Un premier panneau signalant la traversée de panthères nous avertit de la proximité de la vie sauvage dans ce lieu préservé (je ferai une petite explication sur la panthère de Floride dans un article à venir). On admire un arbre majestueux couvert de mousse d'Espagne (Spanish moss, air plant) dans lequel une buse à épaulettes profite des premiers rayons du soleil. Le comité d'accueil comprend également des urubu noirs (vautours) qui, pour une raison inconnue à ce jour, s'en prennent parfois aux voitures en arrachant les pièces en caoutchouc et en vinyle.  

Avant de vous amener dans une visite guidée des différents écosystèmes, voici quelques clés de compréhension des éléments naturels qui influencent la formation et le devenir des Everglades.

  • L'eau. Dans cette région, il y a deux saisons. La saison sèche s'étend de Décembre à Avril alors que la saison des pluies propices aux inondations (et aux moustiques) commence en Mai. Pendant la saison des pluies, la faune se disperse alors que pendant la saison sèche, elle a tendance à se rassembler autour des sources d'eaux (étang, solution holes, trou d'alligator) qui se font de plus en plus rares au fil de la saison. Le mois de Décembre est donc intéressant pour visiter les Everglades car on s'affranchit des attaques de moustiques et on peut voir pas mal de d'animaux sur quelques zones. Il ne manque que les naissances mais pour cela il faut attendre Mars- Avril.
  • L'altitude. Pas de montagne ici, ni même de collines mais une élévation de quelques centimètres suffit à faire varier drastiquement le type d'habitat.
  • Incendies. les feux naturels (causés par les éclairs pendant la saison des pluies) et programmés (gestion humaine) permettent de maintenir la mosaique d'habitats et en particulier les paysages ouverts typiques des marais d'eau douce (freshwater marshes) ou les pinèdes (pines rocklands).
  • Les ouragans qui balayent la régoin,  détruisent en partie la végétation et redessinent les côtes mais ils contribuent aussi à la biodiversité en ouvrant de nouveaux paysages côtiers favorables à certaines espèces végétales et animales.

On compte 6 habitats principaux différents dans les Everglades. Je vous propose de vous amener à leur rencontre au fil de cette première journée.

Ci-dessous, un carte sur laquelle j'ajoute les points de notre périple au fil des articles. En rouge, les endroits que je mentionne dans mon article mais où nous ne sommes pas allé et en bleu les endroits où on est passé. 

Habitat 1: Les marais d'eau douce avec comme exemple le sentier "Anhinga trail". Il s'agit de l'habitat prédominant et typique des Everglades. La plante prédominante de ces marais est appelée sawgrass. Comme vous pouvez vous en doutez, la région des Everglades s'étend bien au-delà du parc. Les Everglades commencent en fait près d'Orlando avec la rivière Kissimmee, qui se déverse dans le vaste mais peu profond lac Okeechobee. L'eau qui quitte le lac pendant la saison des pluies forme une rivière marécageuse au débit lent de 97 km de large et de 160 km de long, qui s'écoule vers le sud à travers un plateau calcaire jusqu'à la baie de Floride, à l'extrémité sud de l'État. Dans ces marais en plus de cette plante sawgrass, on trouve dans les zones moins denses du périphyton qui abrite larve d'insectes et d'amphibiens. Au sein de ces marais, il y a également des slough comme celui de Shark River ou Taylor Slough (au dessus duquel passe le caillibotis d'Anhinga Trail), canaux où l'eau s'écoule librement et dont la période d'inondation est plus longue que les zones de sawgrass. Ces sloughs abritent une multitude de nénuphars, tortues, alligators, serpents et poissons.  D'ailleurs, on croise nos premiers alligators sur Anhinga Trail. Les alligators participent également à la création d'habitat dans ces prairies: avec leurs griffes et leur museau, ils creusent et créent des étangs libres de végétation pour nicher qui restent submergés pendant toute la saison sèche. Les trous des alligators sont essentiels à la survie des invertébrés aquatiques, des tortues, des poissons, des petits mammifères et des oiseaux pendant les périodes de sécheresse prolongées. Les alligators se nourrissent ensuite de certains des animaux qui viennent dans les trous.  La Talève violacée (purple galinule, cousine colorée de la gallinule) marche grâce à ses longues pattes et orteils sur l'eau (enfin techniquement sur les nénuphars).  Je ne résiste pas à l'envie de mettre plusieurs photos d'une même série que l'on pourrait intituler le bain de la gallinule.On retrouve également la paruline à couronne rousse (palm warbler). Comment on la reconnait? On regarde ces fesses qui sont toutes jaunes!!

 

Même ulysse fait de la photo animalière tellement les oiseaux sont peu farouches. Je ne fais pas souvent de portrait très serrés mais là c'était l'occasion ou jamais: héron, cormoran, aigrette, tout y passe...

Cette journée a généré un certain nombre de discussion de geek des oiseaux! Le nombre d'espèces d'aigrettes différentes qui cohabitent dans leur plumage d'hiver, (plumage dans lesquels on en les voit pas habituellement) rend leur identification un peu plus compliquée. Les aigrettes sont souvent blanches et on les identifie souvent en regardant la taille, la couleur du bec et des pattes voire des pieds. Et l'une d'entre elles semblait être un croisement bizarre entre deux espèces jusqu'à ce qu'Ulysse, après des heures de perplexité, propose l'aigrette garde-boeuf en plumage d'hiver auquel je répond "mais oui bon sang bien sûr, c'est évident que c'est ça!!!" Bon heureusement certains échassiers ont des couleurs peu communes qui les rendent plus facilement reconnaissables comme le héron tricolore ou le petit héron bleu.

Habitat 2: Feuillus tropical  (Tropical hardwood hammocks) avec comme exemple le sentier Gumbo Limbo Trail et Mahogamy hammock: Il s'agit de petits îlots d'arbres très denses qui poussent sur des terrains légérement surélevés (30 à 90cm) par rapport aux marécages. On y croise un mélange d'arbres subtropicaux et de feuillus, tels que des chênes (Quercus virginiana), le gumbo limbo reconnaissable à son écorce rouge (Bursera simaruba), l'acajou (tropical mahogany), l'arbre à mastic, le Royal palm (espèce de palmier: Roystonea). A leur base, d'autres petits palmiers (sharp saw palmettos) rendent la progression difficile dans cet habitat alors que les petits mammifères, les reptiles et les amphibiens y trouvent un refuge idéal. L'eau des marécages s'écoule autour des îles, créant des douves qui protègent les îlots des feux naturels.  Les fougères et les plantes aériennes (air plants) prospèrent ici. Vous aurez l'occasion de voir pas mal de photos des plantes aériennes car Ulysse s'est découvert une vocation de photographe botaniste pendant ce voyage. Un habitant typique de ces îlots tropicaux sont les escargots arboricoles (Tree Snails) avec plus de 52 variétés aux couleurs différentes, résultat d'années de reproduction isolée sur chaque îlot. Ces îlots d'arbres ont d'ailleurs  souvent été brulés par les collectionneurs une fois les escargots ramassés pour rendre leur collection plus précieuse. Aujourd'hui, au moins 4 variétés ont disparu. Nous n'avons pas vu énormément d'escargots car nous étions là-bas durant la saison sèche mais on a quand même ramené quelques photos de spécimens qui mesurent plusieurs cm. Par contre, on y a croisé plein de petits lézards (Brown anole). Malheureusement, l'espèce d'anole croisée est invasive contrairement à l'anole vert, bien plus rare en raison de la concurrence pour la nourriture, et la fâcheuse tendance des anoles marrons à manger leurs oeufs. Du coup, les anoles marrons sont très communs au sol et le seul anole vert qu'on a croisé était au sommet d'un petit palmier (saw palmetto) pour limiter la prédation. On y retrouve également des solution holes, des trous où le calcaire s'est érodé qui retiennent l'eau même lorsque les prairies s'assèchent et peuvent être réquisitionné par un alligator pendant la saison sèche.

 

On vous amène maintenant dans le troisième type d'habitat:

Habitat 3: la pinède rocheuse (les Landes version Antillaise, Pine rockland) que l'on découvre au fil du sentier Pinelands trail. Il s'agit de l'écosystème le plus rare dans les Everglades (uniquement présente le long d'une crête calcaire dans le Sud-Est des Everglades) mais c'est également le plus diversifié. Grâce à cette élévation du terrain, on y retrouve une espèce de pin (South Florida Slash Pine, Pinus elliottii) avec une végétation de sous-bois constituée de palmier (saw palmetto) et plus de 200 variétés de plantes tropicales. Cet habitat a besoin du feu pour sa survie. En effet, les pins ont une écorce qui les protège de la chaleur du feu, et le feu permet d'éliminer les autres types de végétations concurrentes et d'ouvrir les pommes de pin pour la germination. En l'absence de feu, une pinèdese transforme en îlots de feuillus tropical qui prennent le dessus sur les pins. L'urbanisation et la méconnaissance de l'importance du feu dans la régulation de cet habitat a largeent contribué à la raréfaction de ces pinèdes. Dans le cadre de la gestion du parc des Everglades, des feux prescrits sont organisés tous les trois à sept ans.

 

Encore une fois, on se fait avoir par une espèce que l'on connait bien dans son plumage d'été mais qui nous semble totalement inconnue dans son plumage d'hiver: la paruline à croupion jaune. Rdv dans les articles du mois de Mai 2020 pour de jolis portraits serrés de cet oiseau en plumage d'été. On y croise aussi des Gobemoucheron gris-bleu et un juvénile buse à épaulettes très vocal ainsi que des papillons.  

 Habitat 4: Les marais de Cyprès (Cypress) avec la vue depuis Pa-hay okee overlook. Commun dans tout le sud-est des États-Unis, le cyprès (Taxodium spp.) est un conifère à feuilles caduques qui peut survivre jusqu'à 600 ans dans des eaux stagnantes grâce à son tronc renforcé et ces racines en saillie qui dépassent de l'eau, appelés "genoux". Dans les Everglades de Floride, ces arbres poussent:

  • Au niveau des solution holes où il est courant de trouver un groupe de cyprès poussant en forme de dôme, avec des arbres plus grands au milieu (là où la tourbe est la plus profonde) et des arbres plus petits tout autour ou dans une formation linéaire sur les crêtes de calcaire où la croissance des arbres suit le flux de l'eau
  • Dans les zones où les conditions de croissance sont moins favorables mais où un subtil changement d'altitude empêche les sawgrass de pousser, les cyprès rabougris, appelés cyprès nains, poussent en faible quantité dans un sol pauvre sur des terres plus sèches.

Est-ce que vous connaissez les broméliacées? Non? Si si! Toutes les broméliacées font partie de la famille des ananas (Bromeliaceae), qui comprend à la fois des épiphytes (plantes non parasites qui poussent sur d'autres plantes) comme les plantes aériennes que l'on croise dans le parc et des espèces terrestres qui prennent racine dans le sol, comme l'ananas (Ananas comosus). Deux espèces emblématiques du parc: Tillandsia fasciculata qui ressemble au sommet d'un ananas et la mousse d'Espagne (T. usneoides) qui forme des colonies en cascade composées de milliers de plantes individuelles reliées entre elles. Les broméliacées sont omniprésentes dans le parc quelque soit l'habitat (îlots de feuillus tropical, mangroves,...) mais surtout dans les forêts de cyprès nains (Dwarf cypress forests) et les dômes de cyprès (cypress domes). La base des feuilles de certaines broméliacées, comme la plante aérienne géante (T. utriculata), fonctionne comme un réservoir d'eau très utile à une multitude de petits organismes qui peuvent s'y réfugier (grenouilles, larves de moustiques, mille-pattes ou même un serpent).

 

Au milieu des marais d'eau douce, on trouve également des étangs d'eau douce comme Paurotis Pond et Ninemile Pond. Ces étang jouent un rôle clé dans la nidification de nombreux échassiers pendant la période sèche. En se rendant à ces deux lacs, on espère y croiser la fameuse spatule rosée mais pas de trace d'échassiers pour aujourd'hui. A la place, on y observe des petits passereaux comme le Gobemoucheron gris-bleu et la paruline flamboyante même si elle est moins flamboyante qu'en été à New York. On y voit aussi une paire de touristes en canoé échoué dans la bordure marécageuse du lac en train d'appeler à l'aide en agitant leurs pagaies. Pas de panique, les rangers sont rapidement arrivés et nous les avons laissé gérer la situation.

Habitat 5: Les mangroves que l'on trouve dans les canaux côtiers et les rivières sinueuses où se mêlent l'eau douce et l'eau salée. Douement mais sûrement, nous sommes progressivement descendus vers le Sud au fil de la journée et nous nous rapprochons de la côte. Avec le sentier West lake Trailhead, on explore la première forêt de mangroves de notre expédition. Le terme "mangrove" ne désigne pas une espèce botanique en particulier mais désigne une variété d'arbres tolérants au sel parmi lesquel les mangroves rouges (Rhizophora mangle), identifiées par leurs racines sur pilotis, et les mangroves noires (Avicennia germinans) et blanches (Laguncularia racemosa). Ces mangroves servent de nurseries pour les crustacés et les poissons qui supportent l'industrie locale de la pêche. Pendant la saison sèche, les échassiers s'y rassemblent pour se nourrir et nicher. Et pendant les mois d'été, ces forêts de mangroves constituent la première ligne de défense contre les vents et les ondes de tempête des ouragans. L'exemple le plus fragrant de cet habitat durant notre voyage est la région de Ten Thousand Islands où je vous amènerai en canoé dans un prochain article mais en voici déjà un premier aperçu. On y a aperçu des pygargues, des balbuzard pêcheurs et des foulques mais pas de photos animalières fantastiques.

On refait une petit incursion dans une forêt tropicale avec Snake Bight Trail. Comme je n'avais pas bien évalué la longueur du sentier (ça arrive même aux meilleurs!) et que celui-ci est une vraie jungle, on finit par rebrousser chemin pour pouvoir finir notre visite avant le coucher du soleil.

Habitat 6: Dernier habitat les marais côtiers. C'est le seul habitat qui manque à l'appel pour cette première journée. L'eau douce qui arrive dans la baie de Floride depuis les Everglades crée des conditions parfaites pour de vastes lits d'herbe (Turtle grass) qui nourissent tortues de mer et lamantins et d'algues pour les vers, les palourdes et autres mollusques. Les lamantins hivernent dans les eaux chaudes de la baie. On voulait faire le Coastal Prairie Trailhead pour avoir un aperçu de ce dernier habitat mais le chemin était fermé. Cela tombait bien car on y est arrivé à la tombée de la nuit donc pas de regret.

Nos deux dernières étapes de la journée sont :

  • Eco Pond, un autre étang d'eau douce où on voit des échasses d'amériques et nos premières tantales d'amérique
  • Une promenade au coucher du soleil dans un camping post apocalyptique avec des arbres fantomatiques couverts de mousse (la fameuse Broméliacée: Spanish moss) qui ont repris leur droit sur le goudron et s'agitent doucement au grès de la brise.

On finit par remonter dans notre voiture après 600 minutes (10h non stop), 90km et 35 espèce d'oiseaux dont beaucoup de petits nouveaux à cocher dans notre guide ornitho. Avec notre sens habituel de l'improvisation, la copilote que je suis se met à la recherche d'un resto pour cette veille de Noël à 5:30 de l'après-midi. Après une pause au maraicher du coin (Robert is here, impossible de me souvenir du nom, le pauvre a été rebaptisé à multiples reprises), on finit dans un resto italien (Capri Restaurant) où on se remmémore notre journée tout en riant sous cape à la vue de la réunion de famille à la table d'à côté où une jeune femme est coincée avec un papi qui porte une casquette "Make America Great Again".

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